Bophana, centre de ressources audiovisuelles
En réalisant ses premiers documentaires au Cambodge au début des années 1990, le cinéaste Rithy Panh prend conscience de l’état critique du patrimoine audiovisuel de son pays : après des décennies de guerre et de folie génocidaire, les quelques archives épargnées semblent attendre que le temps, la chaleur ou la poussière achèvent de les effacer. Encore une décennie ou deux et la mémoire audiovisuelle du Cambodge sera réduite à néant.
Les préoccupations de Rithy Panh font alors écho à celles du cinéaste Ieu Pannakar, responsable de la Direction du Cinéma au sein du Ministère de la Culture et des Beaux-Arts du Cambodge. Les deux hommes se prennent à rêver d’un lieu de mémoire et de création, où le patrimoine audiovisuel serait sauvegardé, retrouverait un sens et une nouvelle dynamique.
L’association AADAC (Association d’Aide au Développement de l’Audiovisuel au Cambodge) est créée pour soutenir le projet. Cette association repose sur l’engagement militant de quatre membres fondateurs : Liane Willemont, Agnès Sénémaud, Pierre Wallon et Jean de Calan, qui contribuent activement à la conception et à la création du Centre Bophana.
Il aura fallu dix ans pour que l’idée devienne réalité, dix ans pour convaincre que les archives historiques et la culture jouent un rôle clé dans l’expression de l’identité d’une nation. Dix ans pour persuader que la constitution et l’accès à ce patrimoine sont fondamentaux. La prise de conscience à l’internationale que les films disparaissent définitivement lorsqu’ils ne sont pas correctement conservés, a favorisé l’éclosion du centre Bophana.
Les autorités cambodgiennes ont rapidement adhéré au principe et facilité l’hébergement du centre au cœur de la ville, dans un immeuble à l’architecture typique des années 1960. Le bâtiment a été restauré en 2006 dans le respect de sa conception originale. Les collaborations engagées au niveau français (coopération bilatérale, appuis techniques et financiers, accès aux collections de grands centres d’archives) ont à leur tour apporté un soutien décisif. En quelques mois, le projet a pris forme.
Quand le centre est inauguré le lundi 4 décembre 2006, il s’appelle centre de ressources audiovisuelles Bophana. En choisissant le nom de Bophana, le centre se fait le relais du message de résistance, de courage et de dignité que cette jeune prisonnière des Khmers rouges a laissé à la postérité à travers ses lettres et son histoire.
Les fondateurs du centre Bophana défendent l’importance de l’accès à la mémoire pour rebâtir une histoire en continuité, au-delà des Khmers rouges qui ont tenté d’effacer le passé. « Il faut maîtriser, comprendre et porter sa propre histoire », insiste Rithy Panh. Retisser les liens avec ce passé et se donner les moyens de la réflexion.
L’originalité du centre Bophana est de donner accès gratuitement à des milliers d’archives sur le Cambodge. Pour y parvenir, les archives sont au cœur de toutes les activités du centre pendant plusieurs années : formation intensive des documentalistes, traitement technique des archives, doublage en khmer, développement de la base de consultation Hanuman, développement d’activités culturelles autour du patrimoine cinéma et audiovisuel.
Le centre s’ouvre aussi à de nouveaux publics : il propose des projections dans différentes régions du pays, il accueille artistes cambodgiens et partenaires universitaires à travers le projet “Mémoire, archives, création”. Il rejoint la Fédération internationale des archives du film (FIAF) et s’engage dans une coopération Sud-Sud avec le Burkina-Faso.
En 2009, la fréquentation du public explose et, avec elle, l’ensemble des activités du centre. Côté culture, les expositions s’accompagnent de concerts, d’ateliers de création, de conférences, d’ateliers pédagogiques. L’équipe cambodgienne, formée, prend en main une partie des responsabilités au centre.
La professionnalisation des techniciens audiovisuels permet de réaliser un CD de chansons oubliées et deux films dont un sélectionné au Festival international des programmes audiovisuels (Fipa). Ces résultats encourageants posent les bases d’une stratégie d’autonomisation financière. L’idée est simple : mettre à disposition d’équipes de tournage les compétences de nos techniciens et du matériel pour générer des fonds.
Dans la lignée de ses missions fondatrices, le centre Bophana soutient l’accueil de tournages étrangers au Cambodge. Le 16 juillet 2009, la Commission du Film du Cambodge (CFC) est inaugurée. Elle est soutenue par l’Agence Française de Développement (AFD) et le Ministère de la Culture et des Beaux-arts du Cambodge. Le centre Bophana a joué un rôle essentiel dans l’élaboration de ce projet.
Tandis que le public augmente et attend de plus en plus de nouveautés, le centre Bophana élargit significativement sa collecte de documents au Cambodge. Dans la mesure où des techniciens du cinéma et de l’audiovisuel ont été formés dans les années précédentes, la mission de création que le centre s’est assignée dès son origine peut enfin prendre de l’ampleur.
Les films réalisés en interne pendant ces trois années remportent un vrai succès d’estime et amènent le centre Bophana à soutenir plus vigoureusement la création, la construction de points de vue cambodgiens sur le monde. Il se fixe pour nouvel objectif de fournir à la jeunesse cambodgienne les moyens de communication et d’expression qui assureront sa présence dans l’univers du multimédia. L’axe du développement de webdocumentaires est tracé en 2012.
Le centre Bophana se dote d’une nouvelle identité graphique et visuelle conçue par Etienne Robial avec le soutien et les conseils de la Fondation Technicolor et de la Fondation Groupama Gan.
Un nouveau site internet est par ailleurs mis en chantier en interne. L’objectif est de valoriser les activités du centre et de mettre en avant leur cohérence et leur complémentarité. C’est également l’occasion de dynamiser l’image de Bophana pour ses sept ans d’existence afin de lui donner plus de visibilité au Cambodge et sur la scène internationale.